SemblAnCe Du CoRpS – Raya LiNdBerg

SEMBLANCE DU CORPS 

Actif à nous extraire de la frontalité de l’image-écran dans un mix de vidéos,  d’installations, et de sons, Damien Petitot rewritte et performe la médiasphère de manière  tactile. 

À partir des données de nos sociabilités virtuelles, ses dispositifs digitaux sont des corps  sensibles à la vie propre que Damien Petitot glitche, malaxe, scarifie.  Avec DATA-ME, Un An, et (Tu ^^ ) la surface écranique shootée au big data devient  tangible et proteiforme. « Mignon », « bourré », « humide », les phrases chattés  s’accordent ou rivalisent, leurs lignes biffées, colorées, fracturées se déforment selon les  extrêmes bords d’une masculinité qui se voudrait réversible. Parce que se désorganise  l’horizontalité du discours, Damien Petitot fait muter dedans et dehors, face et profil, pour  créer des doublures intimes qui s’auto-engendrent, doigt sur la touche. Si tout est affaire de captation, capter équivaut ici à saisir le sens, autant que le signal, jusqu’à faire fonctionner toute seule ces machines célibataires, faites d’impulsions, de  réverbérations, de distorsions. Il arrive aussi que Damien Petitot s’affranchisse  complètement de la table de lecture, et qu’il éteigne tout (Offscreeen, 2021). Ses pièces plastiques inspirées par les Camboys, garçons jouets rapides à vous exciter sont  métamorphosés en ignudi leurs contours dessinés au marqueur à même l’écran. En un  décalque rythmé, il en démonte et remonte la chair, manipulant la duplicité de celui qui se  donne sans exclusivité. 

À la fois profondeur organique et enveloppe numérique, image digitale et anatomie  incrustée dans un verre polarisant décadré, Damien Petitot pratique un dessin de nu  fétichiste atomisé par l’écran. 

Damien Petitot comprend qu’en nous affectant, le service rendu par la machine est  dévoyé, qu’elle régénère nos environnements sensitifs, inventant de nouvelles formes  d’intimités, en même temps qu’elle réoriente la représentation. Semblance du corps, encore, les vidéos machiniques (Rien ne se perd, 2020) agitées en boucles rétroactives  

multicouches nous décentrent du point focal de l’écran, et contrecarre nos regards fixes. Ce processus frotte nos consciences, à coup de phosphènes et de bruits limites, faisant  que rentrent en fusion dans une expérience synesthésique un accident sur la rétine, et un  souffle sonore sur nos tympans. Rien n’est comparable au réel, si le phénomène précède  la connaissance qu’on en a. 

Ce que Damien Petitot code est alors cette matrice d’effets où s’hybrident tempo et  espace dans des réactions en chaîne interminables. La machine est donc là erratique et  anthropophage, déterminée à entrer dans notre espace sensoriel. Damien Petitot en la  questionnant dans un prolongement de lui-même, en subvertit l’apparente vacuité, et la 

rendant moins « conne », la pousse à être volontaire dans ses erreurs, c’est-à-dire  logiquement psychotique.  

Ses projets de création en échangeant en permanence les rôles modèles entre homme et  machine, peaufinent des interactions qui profitent somatiquement à notre champs  perceptif, et aux mécaniques mornes de notre réceptivité.  


Raya Lindberg – 2022